Il faut plus qu’un lab d’innovation pour transformer une entreprise traditionnelle. Il faut une véritable vision du futur de son industrie et un changement de mentalités profond des équipes en charge de l’innovation. L’Asie l’a bien compris.
Au cours de seulement quelques années, les géants de la tech ont bouleversé le paysage économique mondial. En Europe, ces changements ont principalement été amenés par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), et en Chine par les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Les acteurs chinois se disputent souvent le marché avec leurs contreparties américaines, ce qui donne un coup d’accélérateur supplémentaire à la transformation. Le marché du e-commerce est particulièrement convoité : Alibaba, à travers divers investissements stratégiques dans des acteurs locaux tels que Paytm en Inde ou Lazada en Asie du Sud-Est, y livre une guerre sans merci avec son équivalent Amazon.
Tout comme dans la Silicon Valley, ces géants ont complètement changé la manière de gérer l’innovation, avec un focus sur l’expérience client et la valorisation des données et non plus sur la profitabilité. Plus encore qu’ailleurs, le digital a transformé la vie des populations asiatiques, offrant un accès qui parfois était inexistant aux services bancaires, simplifiant les paiements dans des pays où la carte bancaire n’était pas ou peu utilisée, et permettant à la classe moyenne émergente de consommer abondamment. Leurs solutions de paiements mobiles sont aujourd’hui utilisées par 45 % de chinois. Ces plateformes de paiement leur permettent d’améliorer l’expérience client et digitaliser tous types de services, du retail au secteur bancaire, en passant par l’assurance, les transports ou encore l’industrie alimentaire. Alibaba a ouvert son premier supermarché connecté en janvier 2016 et compte désormais 100 magasins à travers la Chine.
Associant le digital à une amélioration de leur niveau de vie, les consommateurs asiatiques sont beaucoup plus friands des nouvelles technologies et moins réfractaires à partager leurs données pour bénéficier d’un service personnalisé. Par conséquent, les géants tech asiatiques accèdent à plus de données, leur permettant d’identifier de nouvelles opportunités de satisfaire le client de manière plus rapide. Et de devenir à leur tour des modèles d’inspiration, même pour les GAFA dont ils étaient à l’origine des copycats.
Pour les entreprises traditionnelles, ces géants sont tantôt des alliés dans leur transformation, tantôt des menaces, mais toujours des leviers de transformation, les poussant à s’adapter rapidement.
Certains leaders visionnaires d’entreprises traditionnelles en Chine ont très vite compris la nécessité de se transformer, et pour cela de transformer la manière de fonctionner en interne. Mr. Zhang, dirigeant de Haier, géant de l’électroménager chinois, a réorganisé son entreprise en petites équipes gérant chacune leur budget et profits, et rémunérées en fonction de la valeur créée pour les consommateurs. Haier chapeaute ainsi 2000 micro-entreprises fonctionnant de manière indépendante. Les employés proposent une idée, et peuvent créer leur propre micro-entreprise en formant leur équipe dédiée et en recrutant au sein de l’entreprise. Ces micro-entreprises fonctionnent comme des startups : prototype, test et itérations avant de lancer le produit sur la marché. Par exemple, la marque d’ordinateurs portables spécialement conçus pour le gaming ThundeRobot a été développée par une des micro-entreprises d’Haier et a conquis le marché jusqu’à devenir aujourd’hui une entreprise publique.
Dans l’assurance, le fondateur de l’entreprise Ping An, Peter Ma, qui a commencé son activité il y a plus de 30 ans, a très vite compris le potentiel des technologies dans son secteur. Dès 2008, observant la croissance d’Alibaba et Tencent, il décide de réaliser un pivot majeur pour l’entreprise et de devenir une entreprise tech. Il remplace toutes les plateformes informatiques du groupe par des plateformes dans le Cloud, lance l’incubateur de projets Ping An Technology et axe sa stratégie autour de l’accès aux données clients. Par exemple, un des business lancés par son incubateur, Good Doctor, est une application qui permet de recevoir des conseils médicaux et fonctionne par reconnaissance vocale. Elle compte 265 millions d’utilisateurs. Début 2019, l’entreprise annonçait le lancement de cliniques automatisées dans 8 provinces et villes de Chine, offrant des consultations en ligne et un distributeur automatique de médicaments. Ping An est aujourd’hui un des groupes d’assurance les plus profitables et innovants au monde, générant 140 milliards de dollars de revenus en 2018.
La banque Singapourienne DBS a également entrepris une transformation majeure en interne, sous l’impulsion de son PDG Piyush Gupta. L’enjeu était d’arriver à changer profondément les mentalités pour que les banquiers pensent comme des startups. Elle a été l’une des premières banques à investir son budget de formation dans des événements d’innovation tels que des hackathons mixant startups et employés, coachés aux méthodes agiles et au design thinking. 50 prototypes sont sortis de ces hackathons, dont 10 sont devenus des produits. DBS est aujourd’hui reconnue comme une des banques les plus digitales d’Asie. En 2016, elle était la première à lancer un service bancaire entièrement mobile et digital en Inde avec Digibank.
Parmi les meilleures exemples de transformation réussie en Asie pour des multinationales étrangères, citons encore Unilever qui a misé sur la collaboration avec les startups, en intégrant au maximum les business units dans le processus. Ce sont les business units qui font part de leurs problématiques, et le service d’open innovation de l’entreprise, Unilever Foundry, travaille avec elles pour trouver des solutions à l’extérieur développées par des startups et développer des Proofs of Concept. Ce dispositif permet de trouver des solutions innovantes aux problèmes de l’entreprise, mais ne suffit pas à faire changer les mentalités et faire adopter une culture d’innovation dans l’entreprise. D’où l’idée début 2017 d’ouvrir leur propre coworking space, Level3, au 3ème étage de leur quartier général asiatique à Singapour. Avec de nombreux événements tech organisés par cet espace de coworking et ouvert à tous les employés, Unilever a réussi à créer un pont plus fort entre le monde de la tech et ses business units.
Constatant l’avance indéniable de l’Asie en matière de transformation digitale, notre agence de conseil, Innovation Is Everywhere, a commencé à organiser des learning expéditions dans la région pour nos clients. Au cours de ces quatre dernières années, nous avons emmené des entreprises comme Danone, Vinci Energie, BNP Paribas, Natixis Assurances ou encore Renault à la rencontre des acteurs clés de l’innovation en Chine, à Singapour mais également en Malaisie ou en Corée du Sud. Ces learning expéditions, associées à des débriefings et workshops, sont devenus des déclencheurs majeurs de changement des mentalités, permettent d’inspirer et de réunir les équipes autour d’une vision partagée sur le futur de leur industrie, et de prioriser les prochaines actions pour accélérer leur transformation digitale.
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